• Gangster Feminism

    20 février 2012

    "Et les femmes, comme toutes les femmes, finissent par décevoir."
    - Dr. Jennifer Melfi, The Sopranos, saison 6, épisode 8.
  • Une curieuse solitude

    16 février 2012

    Je rentre tard dans la nuit polaire. Vie d’avant vie qui n’a en rien changé, je cherche le code et la clé. Combien de fois combien de fois cette scène répétée, un taxi une valise et le regard du chauffeur. Je danse avec toi pour la Saint Valentin, je croise parfois notre reflet dans le grand miroir. C'est quand même fascinant de penser que les êtres humains font ça les uns pour les autres depuis la nuit des temps, et toutes ces berceuses qui traversent doucement les siècles et les chambres, cadet Rousselle et le bon roi Dagobert. C’est la première fois que je sais que je ne pourrai jamais me séparer de quelqu’un. Je retrouve les disques aimés oubliés en mangeant du taboulé oriental Monoprix dans sa barquette. Je faisais pareil à la Butte-aux-Cailles, à Saint-Germain-des-Prés, à Montmartre, à Jules-Joffrin, à Belleville, à Vincennes, à Bonne Nouvelle et aux Buttes Chaumont. « C’est une ville très compliquée » me dit le Dr M. Je me demande si elle est de gauche ou de droite.
  • Été

    05 février 2012

    J'ai mis beaucoup de temps avant de m'intéresser au cinéma.
  • Trois jours à Robert-Debré

    12 janvier 2012

    Cela fait maintenant trois jours que tu es hospitalisée à l’hôpital Robert-Debré. C’est dans cet hôpital que l’on soigne les enfants malades des poumons, du sang, de la tête, des os, et toutes les maladies graves et rares et les autres aussi, les plus banales, à surveiller, un peu comme toi en ce moment. L’hôpital s’organise en rues hospitalières bordées de chambres, d’offices, de postes de soins, de blocs opératoires. J’ai même vu l’écriteau « chambre mortuaire » au sous-sol juste sous « drépanocytose », ambiance. Il n’y a pas de jour il n’y a pas de nuit, ici la vie se découpe en un long continuum où les équipes finissent par tourner, seul indice du temps qui passe. Dehors l’église a été construite à même le projet architectural conçu par Pierre Riboulet en 1988 comme si les parents bien qu’athées sans doute finiraient par abdiquer pour aller y chercher des réponses aux questions insolvables. C’est aussi ici qu’ont été tournées les scènes de La Guerre est déclarée, véritable poème sur le couple dans l’épreuve de la maladie. Je pense également à Philippe Forest qui n’a cessé d’écrire sur le drame de sa vie, la mort de sa fille qui lui a fait écrire de si bouleversantes et magnifiques phrases.

    Ici et là nous croisons des parents hagards, des familles. La cafétéria fermant à 20h, je me nourris dans les machines distributrices. J’ai appris des mots nouveaux : désaturer, rescoper. Des infirmières traversent vite la nuit dans les couloirs, petits points blancs virevoltant en silence comme des lucioles, des méduses.  

    Cela fait maintenant 29 jours que nous vivons ensemble. Souvent tu émets des petits bruits d’animal blessé comme un lièvre pris dans un collet. Je me demande quel est l’état de ta conscience, toi qui se souvient encore de ta vie d’ « avant ». Je pensais à cela en rentrant chez moi après avoir passé près de 24 heures à tes côtés dans la chambre bleue n°27. En sortant de la douche j'ai cru t’entendre gazouiller mais il n’y avait personne, comme si un petit fantôme avait pris ta place.

    Photo Ryan McGinley, Untitled (Bungee), 2005
  • Harry's Bar

    29 décembre 2011

    À N.

    soleil cigarette feu follet whisky premier costumes du matin yeux noirs ta rue sommeil sans sommeil. la nuit du chasseur la nuit nous appartient. cinéma train vitesse paris rue oberkampf travail labeur ordinateur. cafés vin rouge pizzas terrasses chauffées pluie d’hiver confidences années folles et vingt ans. lumière grise hiver radiateur. tu bois matin le lait noir de l’aube récite-moi un poème ? un coup de ton doigt sur le tambour tu me réponds todesfuge. salle pleyel poésie allemande poissons de mer nous sommes fauchés. disques par dizaines dans le salon dictionnaire du rock et ça tu connais ah oui fais voir 1977 tu dis. fenêtres sur parc lampadaires et joggeurs gens croisés ici ou là parfois comment on va faire je demande je demande trop. quartier de l’alfama poulpes et fado conversations capots de voitures bières et saucisses. maison sans toit ni sol couvertures humides paillasses et palaces, et toujours ce train qui semble nous attendre.
  • C'est toi la maison

    11 octobre 2011

    "Par intimité extrême, j'entends un état de quelques personnes où l'on pourrait vraiment tout dire, et où l'on obtiendrait le confortable d'une conversation entre pensées actives, sans monologues de mémoire, échos, etc."
    Valéry à Gide, 1899.


    Jean Siméon Chardin (1699-1779), "Le Bénédicité", 1740, huile sur toile, 49,5 x 38,4 cm, 1740.
  • Saying Goodbye To Mummy

    05 octobre 2011

    Je suis à Londres dans une galerie d’art. Il y a cette petite broderie de Tracey Emin, « Saying Goodbye To Mommy », c’est Tracey jambes ouvertes sur une table d’opération, des fleurs sortent de son sexe. Dans une autre iconographie on aurait pu penser que les fleurs sont des pièces d’or venant féconder Danaé, sauf que là c’est exactement le contraire qui se passe. Plus loin dans la galerie, vers la fin, Emin a construit des petits couffins pour ses trois fœtus. Il y a aussi des petits pyjamas et des cotons imbibés du sang de ses avortements. Je trouve ça incroyable. Sur une des courtepointes : "Nothing stays in my body". Il n'est question que de ça. « Où ai-je lu que Virginia Woolf faisait "aussi" des tartes, pas incompatible tu vois. » Annie Ernaux. J’écoute des choses de Liz Phair. Pas incompatible tu vois.

    En anglais je confonds toujours « mommy » et « mummy ».
  • Emeutes à Londres : quelques questions à Valeria CK

    11 août 2011

    "Hackney central. Last picture before my camera got stolen and me beaten up. Hours later and certainly not by this young man who seemed to be pointing fingers, interestingly enough, to the crowd of photographers and passers-by." (Photo de Valeria CK)


    Valeria est une amie journaliste qui vit à Londres. Elle raconte ce qu'elle a vu dans le quartier de Hackney lors des émeutes des derniers jours et son agression du lundi 8 août.

    Val, comment expliques-tu les événements qui secouent le Royaume-Uni actuellement ?
    C’est une explosion de colère qui semble avoir plusieurs facteurs simultanés. Tu sais que ce qui a mis le feu aux poudres c’est la mort de Mark Duggan et la façon dont elle a été gérée (ou plutôt non gérée) par la police. Les jeunes noirs disent qu’il y a un racisme institutionnel de la police. Dans les rues l’autre jour les gens de la communauté qui assistaient aux pillages disaient que les jeunes n’ont rien à faire, qu’ils n’ont pas de futur, que les youth clubs ont été fermés. Un gamin interviewé à Manchester disait que les frais d’inscription à l’université ont été multipliés par trois. Le contexte c'est les "cuts" du gouvernement Tory. Quoi d’autre ? La frustration, l’ennui, le désir de s’amuser et de se payer des biens gratuits. 

    Est-ce que ce sont des actes revendiqués ?

    Non. Et ils n’ont pas de porte parole.

    Les trouves-tu justifiés ?
    Je trouve que la colère est justifiée. Elle n’est pas politisée, et je le regrette, elle n’en est pas moins politique (bien qu’inarticulée). J’espère qu’elle entraînera une prise de conscience et un rejet du gouvernement Tory.

    Tu as été agressée lors d'une des émeutes, raconte ?
    J’ai été agressée à la fin de la journée de lundi vers 20h alors que je marchais le long d’une rue de Hackney en dehors des points de tension. Un mec m’a arraché mon appareil photo. J’ai essayé de résister en lui disant de me le rendre. Il a brisé la courroie. Mon appareil photo est tombé par terre et il m’a envoyé des coups de poing sur le visage et sur le corps. Apparemment il y a eu plusieurs incidents impliquant des photographes qui se sont fait voler leur appareil photo. La suspicion pesant sur les photographes – et en grande partie justifiée – c’est que leurs photos allaient servir à identifier des émeutiers. Je n’ai pris aucune photo d’émeutiers à visage découvert mais ça, mon agresseur ne pouvait pas le savoir. Cela dit, je crois qu’il voulait mon appareil photo et qu’il a profité de la relative impunité de cette journée pour se servir.

    Mis à part cette agression, qu'as-tu remarqué au cours de cette journée d'émeutes et qu'est-ce qui t'as le plus étonné ?
    Il faut commencer le récit avant l'agression. J’ai d’abord été arrêtée par un barrage de police quand je rentrais chez moi. Il n’y avait pas beaucoup de monde. La ligne de police avançait et reculait, tentant de contenir les gens. Un policier avait été blessé par un jet de pierre et il était à terre entouré par d’autres policiers. J’ai pris quelques photos et je suis rentrée chez moi en remarquant la présence d’un hélicoptère dans le ciel. Quand je suis rentrée, mon coloc m’a dit que c’était le bordel vers Mare Street (toujours à Hackney) et on est ressortis. On a contourné les barrages de police en marchant dans des rues parallèles, parlé avec pas mal de gens de la communauté qui étaient sortis pour observer ce qui se passait, couru avec les émeutiers quand la police chargeait. J’ai perdu mon coloc de vue, pris en photo une voiture rouge décapotable qui cramait et assisté au pillage d’une station service (je n’ai pas pris de photos). L’atmosphère était bon enfant. A ce moment là je n’ai pas vu de violence. Dans la station service le personnel assistait au pillage sans s’interposer. Des gamins ressortaient avec des bouteilles d’alcool, des sodas, des paquets de chips, des bières et du Toblerone. Puis quand la foule s’est peu à peu dispersée je suis remontée vers le centre de Hackney. La vitre d’une boutique de sandwiches avait été brisée. La police s’est mis à la garder ainsi que le  distributeur automatique voisin. Je suis remontée et j’ai marché jusqu’à un estate tout près de chez moi où une voiture et des poubelles brûlaient. La police avançait et reculait sur la rue et plein de gamins ont pris d’assaut un petit commerce. C’était comme une fête dans la rue. Des cigarettes par terre et des gamins qui passaient avec des trophées dérisoires. Dans l’assistance il y avait pas mal de gamins noirs, mais aussi des blancs et un troisième groupe qui grandissait ou diminuait selon la violence des affrontements (et des jets de pierre) composé de spectateurs essentiellement blancs, essentiellement middle class, qui prenaient des photos sur leurs portables ou avec des appareils photos. On m’a proposé des bouteilles et des cigarettes mais j’ai dit non. Je prenais des photos mais relativement discrètement et toujours de personnes au visage masqué. C’est plus tard, quand je me suis éloignée de cette rue que je me suis fait arracher mon appareil photo.

    En tant que Française, estimes-tu que le Royaume-Uni soit plus, moins ou aussi raciste que la France en termes de gestion policière mais aussi de contrôle des flux migratoires ? Je pose la question en lien, évidemment, avec l'élement déclencheur des émeutes, soit la mort de Mark Duggan.
    Je n’en sais rien. L’ensemble de la société me semble moins raciste mais plus à droite. Ici les membres de la middle class blanche semblent prompts à juger que si tu es pauvre c’est de ta faute et qu’il n’a rien à faire contre la pauvreté. Les émeutes sont désorganisées, violentes, et se situent dans un entre-deux compliqué : les pilleurs n’ont pas pillé parce qu’ils avaient faim et ils ne se sont pas attaqués à des symboles, ce qui aurait rendu leurs attaques plus politiques. Ils ont, évidemment, détruit au passage une partie de leur communauté. Beaucoup d’Anglais que je connais ont argué de cette violence pour les insulter ou leur dénier toute forme d’humanité. « Scum* on the street » (*racaille) écrivait sur Facebook une fille anglaise que je connais. Et une jeune femme anglaise interviewée à la télévision a traité les émeutiers de « Feral rats » (* rats sauvages). Ce n’est pas en présentant ces jeunes comme de purs criminels qu’on avancera. 

    Ces émeutes reposent-elles principalement sur un contexte social et économique crispés ?

    Non, je ne pense pas qu’elles soient liées à « un contexte économique crispé ». Je pense qu’elles sont liées à une politique désastreuse rendue encore plus désastreuse par un contexte économique défavorable. Dans une société plus pauvre mais plus égalitaire on n’assisterait pas à ces incidents. En Angleterre, les 10% de personnes les plus riches du pays sont 100 fois plus riches que 10% les plus pauvres.