Une cage

29 mai 2014

Je réfléchis depuis un certain temps au désir de confession, à l’aveu, à cette envie de raconter et de se raconter (chez le psy, chez ses amis, sur l’oreiller, à ses collègues, ou d’une manière plus vaste et dans le pire des cas, à la police, ou anciennement chez le prêtre) et donc à ce moment où l’on se « rend » avec plus ou moins de violence, d’éclat, de délicatesse, de génie ou de modestie. C’est un sentiment assez partagé, et il me semble que jusque dans les parutions littéraires les plus récentes, ce désir s’accompagne toujours d’une volonté d’être lavé.  

Je pense à cela alors que je suis aux prises moi-même avec une confession sociale quotidienne (coming/out), que je rédige un récit de naturalisation, et que pour toutes ces raisons je réemprunte tous les jours, sans capacité d’objectivité, les chemins de ces dernières années en me demandant : où ai-je eu tort ? Ai-je vraiment voulu cette situation ? Et si non, pourquoi m’y être aventurée quand même ? Et dans ce magma de souvenirs où se mêlent la colère, l’exaltation, la jubilation, la honte et le doute, et où toute vérité est relative, je réalise – toujours avec le même étonnement, le même effroi - à quel point, et de manière répétée, il est difficile de s’extraire des soubresauts de l’inconscient, de ses manifestations les plus troublantes. Je tombe sur cette phrase de Leiris dont L’Age d’homme est un chef d’œuvre du genre : « Ce que je méconnaissais, c’est qu’à la base de toute introspection il y a goût de se contempler et qu’au fond de toute confession il y a désir d’être absous. Me regarder sans complaisance, c’était encore me regarder, maintenir mes yeux fixés sur moi au lieu de les porter au-delà pour me dépasser vers quelque chose de plus largement humain. »  

Cette voix monolithique, qui confesse en un souffle, offre un témoignage à la fois courageux mais confortable, puisqu’il ne rencontre aucune contradiction. Il y a donc quelque chose d’admirable dans l’exercice (particulièrement lorsqu’il révèle les aspects les moins lumineux de soi, dans une forme d’introspection qui laisse au lecteur le loisir d’observer l’inavouable ; je pense, pêle-mêle, à Mishima, son désir sexuel pour le jeune vidangeur transportant des seaux de merde ; au vol de poires de Saint Augustin ; au syndrome pathétique de persécution de Jean-Jacques ; à Grégoire Bouillier, racontant cet étrange baiser entre sa mère et lui-même) et de moins glorieux, puisque cette forme d’exhibition difficile à contenir n’admet pas la pudeur, et enferme en soi-même. Surtout, elle met en lumière d’infimes parties du tableau, ou comme le dit Leiris bien mieux que moi : « Si rompu que je sois à m’observer moi-même, si maniaque que soit mon goût pour ce genre amer de contemplation, il y a sans nul doute des choses qui m’échappent, et vraisemblablement parmi les plus apparentes, puisque la perspective est tout et qu’un tableau de moi, peint selon ma propre perspective, a de grandes chances de laisser dans l’ombre certains détails qui, pour les autres, doivent être les plus flagrants. »  

Il y a un risque non négligeable à retourner ainsi l’esprit comme un gant ; ce qui macérait dans la noire humidité des secrets se retrouve subitement éclairé et jeté en pâture. Se justifier, c’est offrir le flanc. Je ne peux m’empêcher de lier ces réflexions à la « cellule intérieure » de Sainte Catherine de Sienne. Enfant, la jeune Catherine se réfugie longtemps dans ses prières. Ses parents, inquiets, la punissent – ou veulent la protéger d’elle-même – en la privant de chambre. Elle considère alors, m’apprend Wikipédia, « que si elle n'a plus de chambre ou de cellule pour prier, c'est qu'elle doit donc faire de son âme une ‘cellule intérieure’, intuition qu'elle développe tout au long de sa vie ». Une chambre à soi intérieure.  

Y a-t-il encore un espace intérieur lorsque la cellule s'ouvre ? Où va le secret ?
Est-on encore protégé en soi-même ?     


Photo : Gilles Aillaud, Vol d’oiseaux, circa 2000